Intervention sur le projet de loi Modernisation de la justice du XXIe siècle
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame et messieurs les rapporteurs, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues,
je ne vois aucune difficulté à me montrer aussi lyrique que certains en ce début de séance, à citer Saint-Exupéry, à rappeler l’homme libre qui, toujours, chérira la mer. Pour autant, mon lyrisme, monsieur le garde des sceaux, s’arrêtera là. J’aurai du mal à vous suivre, au moins sur un premier point que je reprendrai plus tard, ce titre quelque peu pompeux « Modernisation de la justice du XXIe siècle », qui ne rend nullement compte du contenu de votre texte. Votre majorité est, du reste, assez coutumière du fait, comme la loi d’Axelle Lemaire relative à la « République numérique », a pu en témoigner. Si ce projet de loi n’est pas le texte fondateur d’une justice du XXIe siècle, son but n’est pas non plus totalement atteint. Le but réel n’est aucunement de donner une ambition à notre justice, alors qu’elle en aurait bien besoin, tant elle est à bout de souffle – je partage votre expression, monsieur le garde des sceaux.
Il serait plutôt de réaliser des économies, au prétexte d’alléger la tâche des juges et de transférer à d’autres des charges que je qualifierai d’indues. Pour ce qui est de la forme, je voudrais vous alerter, mes chers collègues, sur le dessaisissement du Parlement – en tout cas sur la place de plus en plus réduite accordée au débat public en séance.
Oh, je ne parle pas de l’article 49, alinéa 3, celui qui nous a occupés la semaine dernière, ni des articles de ce texte – et pourtant ! – qui habilitent le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance. J’évoquerai plutôt le détournement de l’esprit de la réforme constitutionnelle de 2008, qui a permis qu’un amendement adopté en commission soit intégré au texte débattu en séance sans que le vrai débat, un débat public, plus large, puisse avoir lieu en hémicycle. En effet, pas moins de quatre-vingt-quatorze amendements ont été déposés par le Gouvernement sans parler des quatorze supplémentaires, adoptés au titre de l’article 88, à 21 heures 15 ce soir.
Ces quatre-vingt-quatorze amendements ont été déposés par le Gouvernement après les débats au Sénat, sur cinq cents en tout ! Vous pouvez le constater, c’est énorme ! Or, parmi tous ces amendements, certains portent des réformes importantes, comme celle du divorce sans juge, sans qu’aucune étude d’impact ni évaluation n’ait été réalisée. Une forme de divorce express que certains n’hésitent pas à qualifier de divorce à la Las Vegas. J’y reviendrai.
Sur le fond, ce texte est inachevé, même si tout n’est pas à dénigrer ou à rejeter. Déjudiciariser pour donner un peu d’oxygène à la justice n’est pas mauvais en soi, sauf s’il s’agit simplement de casser le thermomètre pour ne plus connaître la température. Ce n’est pas pour autant que le malade ira mieux.
Votre texte touche à tout. Vous ne nous présentez pas une réforme en profondeur, claire, nette, mûrie après un vrai débat national, mais une succession de petites mesures, comme un tableau de Seurat. Vous procédez par touches successives, mais contrairement à l’artiste, vous ne maîtrisez pas l’ensemble de la palette. Ainsi, vous banalisez le divorce. Au détour d’un amendement du Gouvernement, vous permettez la dissolution simplifiée du mariage, un mariage pourtant célébré sous le sceau de l’État.
Vous persistez, comme vous l’avez démontré par ailleurs, à banaliser ce qui reste à nos yeux une institution collective par les effets qu’elle produit à l’égard des tiers ou des enfants, et pas seulement l’acte juridique d’un couple.
Nous sommes bien évidemment conscients des dysfonctionnements actuels de la procédure de divorce, des délais excessifs pour accéder au juge qui croule sous le contentieux. Sans doute le statu quo n’est-il pas la bonne formule mais la réforme que vous proposez, monsieur le garde des sceaux, ne respecte ni l’intérêt des enfants, ni celui des justiciables, ni celui de l’ordre public national et international.
Cette réforme est contraire à l’intérêt des enfants et constitue une rupture dans l’égalité de traitement entre les enfants sous l’autorité parentale de parents mariés ou non mariés. Les intérêts des premiers ne seront plus protégés par l’intervention du juge alors que, comme les syndicats de magistrats l’ont rappelé, « l’intérêt d’un enfant n’est pas l’addition des intérêts des deux parents » et que l’audition de l’enfant ne peut être ordonnée lorsqu’il n’est pas en âge de discernement.
Cette réforme est également contraire à l’intérêt des justiciables en ne leur permettant plus de bénéficier du contrôle du juge et de choisir un avocat commun, choix aujourd’hui majoritaire dans les divorces par consentement mutuel, ce qui est aussi une source d’économie importante pour les justiciables.
Cette réforme est enfin contraire à l’ordre public international alors que, désormais les mariages binationaux sont légion, en raison de l’absence d’organe de contrôle et de vérification de la compétence internationale et de la loi applicable à toutes les questions liées à la désunion.
Contrairement à ce que l’on pense, il est bien porté atteinte à l’ordre public international en raison de l’impossibilité de faire reconnaître ou exécuter l’acte l’étranger, dans l’Union européenne, ou hors Union européenne, sans les certifications prévues par la législation européenne, dont la délivrance ne peut être confiée, ni à l’avocat, ni au notaire, alors que cette mission est dévolue au juge dans l’espace européen, lequel a d’autre part l’obligation de s’assurer que le mineur a été informé de son droit à être entendu, ce qu’il ne peut faire si le divorce sort de la sphère judiciaire.
Nous récusons cette banalisation du divorce !Vous banalisez encore un nombre important de règles de procédure en les confiant à l’officier d’état civil, lequel risque de se trouver plongé dans des abîmes de perplexité en matière de changement de nom et de changement de prénom. C’est en réalité une vraie révolution : vous mettez fin à l’intangibilité de l’état civil, ainsi qu’à l’exception au principe d’opposabilité de plein droit des décisions étrangères en matière d’état des personnes.
Ce n’est pas rien ! Bref, de nombreux éléments donnent matière, me semble-t-il, à jouer les apprentis sorciers.
Nous avons coupé, jusqu’à présent, à d’autres mesures pouvant paraître plus secondaires, par exemple la fin de la transcription des actes de décès dans la commune de résidence, mais pas à la suppression du second registre d’état civil. Je m’interroge donc sur la sécurité de l’état civil dématérialisé que vous voulez mettre en place. Cela me semble bien imprudent...
Un dernier point. Je ne désespère pas, monsieur le garde des sceaux, de vous convaincre au cours du débat de mettre en place un dispositif électronique de protection anti-rapprochement au profit de femmes victimes de violences conjugales. Nous avons déjà abordé le sujet, et je terminerai donc sur cette note d’espoir qui est aussi une note de combat.