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Motion de renvoi en commission lors de l'examen de la proposition de loi autorisant la recherche sur l'embyryon
Assemblée nationale
XIVe législature
Session extraordinaire de 2012-2013
Compte rendu intégral
Deuxième séance du mercredi 10 juillet 2013
Recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires
Suite de la discussion d’une proposition de loi adoptée par le Sénat
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi adoptée par le Sénat tendant à modifier la loi no 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires (nos 473, 825).
Motion de renvoi en commission
Mme la présidente.
J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. Philippe Gosselin.
M. Philippe Gosselin. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le vice-président de la commission – à défaut de Mme la présidente de la commission, qui aurait sans doute su animer cette soirée avec le brio et le talent dont elle avait déjà fait preuve le 28 mars –, chers collègues, je voudrais dans cette motion vous présenter un texte qui n’a rien d’anodin, comme certains voudraient nous le faire croire à cette heure tardive de la nuit – plus de minuit !
La recherche sur l’embryon en France n’est pas un simple toilettage d’une loi qui a pourtant été promulguée il y a environ deux ans, pratiquement jour pour jour, et dont l’encre est à peine sèche.
Ce débat ne peut se faire en catimini, comme cela fut le cas au Sénat, et comme nous nous apprêtons à le faire ici, à l’issue d’une niche parlementaire qui a tourné court, dans des conditions rocambolesques, le 28 mars dernier ; j’y reviendrai dans quelques minutes. Autoriser la recherche sur l’embryon constitue un changement de paradigme singulier, inédit, qui modifie profondément la philosophie de la loi bioéthique de 2011, et qui plus largement bouleverse notre droit français.
M. Jean-Luc Laurent. Le changement est nécessaire
M. Philippe Gosselin. Il s’agit en outre d’un sujet qui concerne autant les citoyens que les experts. La société elle-même doit avoir un droit de regard et de participation lorsqu’il s’agit de décider du devenir ou de l’utilisation de membres de l’espèce humaine.
Cet enjeu grave de l’utilisation de membres de l’espèce humaine ne peut être réglé en quelques heures dans cet hémicycle, après seulement onze auditions de scientifiques, du reste quasiment tous promoteurs de la recherche sur l’embryon, menées par notre rapporteure Dominique Orliac. Se prononcer sur un sujet aussi sensible que complexe, cela se prépare. J’ai ici, je dois l’avouer, un sentiment non feint, ni caché, d’inachevé – c’est le moins que l’on puisse dire !
M. Jean-Luc Laurent. Cela fait des années que nous en débattons !
M. Philippe Gosselin. Pour un examen complet, j’aurais souhaité entendre des juristes, des philosophes, en plus des quelques scientifiques auditionnés.
M. François de Rugy. Cela fait dix ans que nous débattons sur ce sujet !
M. Philippe Gosselin. Or la recherche sur l’embryon ne se limite pas à une question scientifique : il s’agit d’un sujet juridique, éthique et philosophique. On ne peut considérer que la commission des affaires sociales, privée d’un tel apport, ait accompli le travail nécessaire avec tout l’éclairage requis pour valider le texte soumis à notre vote aujourd’hui, sauf à instruire à charge le procès contre la loi de bioéthique de 2011, ce qui me paraît évidemment intellectuellement malhonnête.
À la lecture du rapport de Mme Orliac, l’on s’aperçoit que la plus grande préoccupation qui justifie l’autorisation de la recherche sur l’embryon est le positionnement des chercheurs et, elle nous l’avait répété au mois de mars, leur ressenti face à l’interdit, leur insécurité juridique. Or la loi n’est pas faite pour une seule catégorie de personnes, si honorables soient-elles. La loi fixe un cadre normatif qui s’adresse à tous. L’interdiction de la recherche sur l’embryon n’est pas un principe qui s’adresse aux seuls chercheurs : c’est un principe général, qui s’inscrit dans la logique de notre ordre juridique, qui s’adresse à tous les citoyens, et qui exprime la règle de la protection de l’être humain.
La loi doit donc prendre en compte l’entièreté des enjeux : les enjeux scientifiques, certes, mais aussi juridiques, et bien sûr éthiques. La commission des affaires sociales a, peut-être par mégarde ou, pire, délibérément, oublié ces enjeux. Que dire de cette forme précipitée, qui nous amène à un débat de ce type dans la nuit du mercredi au jeudi, l’heure de minuit étant passée ?
Au-delà de la forme et du fond, je voudrais revenir quelques instants sur les épisodes précédents, pour mieux comprendre pourquoi nous dénonçons le travail qui a été mené en catimini, et surtout le manque de courage du Gouvernement qui, d’une certaine façon, avance masqué sur le sujet. Encore un texte « Canada Dry », d’abord une proposition de loi, aujourd’hui inscrite en session extraordinaire ! Le Gouvernement pourrait au moins porter totalement ce texte et l’assumer dans sa globalité ; mais il ne le fait pas.
C’est en décembre 2012, au Sénat, grâce à une niche radicale, que le texte de la proposition de loi a été voté : ce fut plié en deux heures ! Puis le texte est revenu au Sénat une deuxième fois pendant deux heures, peu avant Noël ; enfin le 28 mars, il se retrouve dans la corbeille radicale, la niche annuelle de ce groupe politique à l’Assemblée nationale. Nous voici donc contraints d’examiner cette proposition dans des conditions d’impréparation incroyables !
Une impréparation incroyable, dis-je : oui, car des auditions ont eu lieu pendant la semaine de suspension des travaux de l’Assemblée nationale – naturellement ! Le professeur Privat en a fait l’expérience, puisque personne n’a pu venir l’écouter. Je rappelle qu’il s’agissait d’une semaine de suspension des travaux de l’Assemblée, et que l’audition avait été organisée à ce moment-là : c’est malhonnête !
La commission des affaires sociales n’a convoqué ses membres que le jeudi 28 mars à 9 h 30, au moment même où se réunissait ici la séance publique afin d’examiner les nombreux amendements déposés en séance et que ladite commission des affaires sociales n’avait pas su anticiper.
Voilà où nous en sommes ! Une méconnaissance totale par les radicaux du règlement de l’Assemblée qui organise les travaux des séances d’initiative parlementaire, et le fameux gong à une heure du matin, sans oublier les relectures d’un certain nombre de lettres à cette tribune : du grotesque, du ridicule, en tout cas de l’impréparation !
M. Olivier Véran. Quelle agressivité !
M. Philippe Gosselin. Trois textes à examiner le même jour, et au final un psychodrame dans la majorité entre les radicaux et le parti socialiste. Ce psychodrame a conduit le Gouvernement au Conseil des ministres du 7 mai à prendre l’engagement de reprendre ce texte : nous y voilà ! Le Gouvernement a inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour de cette session extraordinaire, mais en s’affranchissant de porter stricto sensu le texte lui-même. C’est d’une hypocrisie sans nom, que je tiens à dénoncer.
M. Marc Le Fur. C’est un retour à la IVe République !
M. Philippe Gosselin. Hypocrisie sans nom, mais pas sans conséquence : pas d’avis du Comité consultatif national d’éthique, pas d’états généraux, pas de débat public contrairement aux dispositions de la loi de juillet 2011, pas d’étude d’impact, pas d’avis du Conseil d’État – rien !
Le Gouvernement peut avancer masqué en toute impunité : on se moque, je le dis sincèrement, on se moque du Parlement !
M. Patrick Hetzel. C’est scandaleux !
M. Philippe Gosselin. L’embryon au final sert de liant dans la majorité ; il est devenu le gage de l’intérêt que le parti socialiste porte aux radicaux. C’est une forme de câlinothérapie au sein de la majorité.
Pour achever le tout, le délai de dépôt des nouveaux amendements ne sera pas rouvert. Nous reprenons ce mercredi à 23 heures, comme si quelques heures ou quelques jours seulement nous séparaient du 28 mars. Une pure fiction, quand on voit le changement de portage gouvernemental, sans oublier non plus le fait qu’hier, la Conférence des présidents a décidé d’avancer les travaux prévus demain à cet après-midi, ce qui nous amène à nous retrouver cette nuit. Ces conditions de forme sont tout à fait inacceptables ! On balade les parlementaires et la représentation nationale comme une feuille au vent ! C’est ainsi que le Gouvernement traite la représentation nationale : par le mépris !
Au-delà de cette forme tout à fait méprisable, il existe évidemment des conditions de fond qui nous amènent à rejeter le texte et à demander son renvoi en commission, en raison de son impréparation notoire et notable. Ces conditions sont juridiques, éthiques et scientifiques, et nous les aborderons successivement.
Les enjeux juridiques ont été totalement négligés. Oui, la commission des affaires sociales n’a pas étudié les enjeux juridiques du passage à un régime d’autorisation de la recherche sur l’embryon.
Tout d’abord, on ne peut soutenir raisonnablement qu’il n’y a pas de distinction entre le régime d’interdiction avec dérogations, et le régime d’autorisation avec encadrement. C’est ce qu’affirmait hier matin le président du groupe radical, le professeur Schwartzenberg. S’il n’y a pas de différence, cher collègue, alors restons-en là ! Il n’est pas nécessaire de toucher à la loi de 2011 !
Sous un régime d’interdiction, tout protocole de recherche est présumé irrecevable, et demande une analyse sérieuse, quand le régime d’autorisation rend tout protocole de recherche présumé recevable : c’est en quelque sorte une inversion de la charge de la preuve !
Ériger l’autorisation de recherche sur l’embryon comme règle méconnaît notre principe fondateur de l’ordre public : le « respect de l’être humain dès le commencement de sa vie », tel qu’il découle de l’article 16 de notre code civil.
C’est méconnaître surtout la position du Conseil constitutionnel, qui dispose pourtant d’une jurisprudence qu’on pourrait qualifier sur ce point de prudente, et qui a jugé, dans sa décision du 27 juillet 1994, que les embryons surnuméraires devaient quand même bénéficier d’une certaine protection ; ce n’est pas un hasard !
C’est méconnaître encore le droit conventionnel, et notamment l’article premier de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine du Conseil de l’Europe de 1997, dite Convention d’Oviedo – belle ville d’Espagne – que la France a ratifiée il y a un peu plus d’un an, en décembre 2011.
Cette Convention établit une intéressante distinction entre « être humain » et « personne ». Ainsi l’être humain est protégé dans sa dignité et dans son identité, alors que la personne voit le respect de son intégrité et de ses droits et libertés fondamentaux garanti sans discrimination. Le principe de dignité protège l’être humain, et par conséquent l’embryon. En effet, si l’embryon n’est pas juridiquement appréhendé comme une personne, il n’en demeure pas moins qu’il est, au sens littéral du terme, un être humain : nul ne peut le contester.
Par ailleurs, l’article 18 de ce même texte admet que certaines législations nationales autorisent des recherches sur l’embryon in vitro, à condition qu’elles assurent une protection adéquate de l’embryon. Il précise aussi que la constitution d’embryons humains à des fins de recherche est interdite. Tout est dit !
La Convention d’Oviedo va même plus loin dans son article 2, qui affirme la primauté de l’être humain sur le seul intérêt de la société ou de la science. Priorité est donnée au premier qui, en principe, doit l’emporter sur l’autre lorsqu’ils se trouvent en compétition. En libéralisant la recherche sur l’embryon, vous niez cette protection adéquate de l’embryon qui incombe au législateur.
Enfin, sur ce point juridique, comment ne pas rappeler que la recherche sur l’embryon est de fait limitée par le droit économique ? Si elle offre un jour une perspective concrète, les chercheurs ne pourront en tirer profit. En effet la Grande chambre des recours de l’Office européen des brevets a écarté, pour des raisons tenant à l’ordre public – je le souligne – la possibilité d’obtenir un brevet portant sur des cellules-souches humaines, dès lors que leur obtention entraîne la destruction d’un embryon humain, dans sa décision WARF/Thomson, du 25 novembre 2008. Cette solution a été confirmée – j’en suis désolé pour le Gouvernement et pour la majorité qui s’acharne – par la Grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne dans sa décision du 18 octobre 2011, en considération du fait que l’embryon humain est protégé au nom du principe de la dignité humaine.
Tout notre ordre juridique nous impose donc de protéger l’embryon, du fait même de son appartenance à l’espèce humaine, et les chercheurs ne peuvent que s’y soumettre.
D’ailleurs, puisque vous avancez que l’autorisation encadrée et l’interdiction avec dérogations n’offrent pas de réelles distinctions, par un souci de cohérence avec notre droit français et européen, nous ne pouvons que préserver ce principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon, et garder ainsi cette force, symbolique peut-être, mais importante, de l’interdit.
Soulignons-le encore une fois : c’est une cohérence de notre droit – ce qui nous différencie assez fondamentalement, d’ailleurs, des Anglo-Saxons. Mesdames et messieurs les membres de la majorité, vous qui pourfendez l’idéologie libérale, vous qui pourfendez l’individualisme, vous ne voudriez tout de même pas être les porteurs de valises de cette idéologie qui vous révulse par ailleurs ? À moins que vos convictions ne soient à géométrie variable – ce que je ne peux pas croire !
Puisque vous placez les besoins des chercheurs au centre de la justification du principe d’autorisation, niant notre ordre juridique, permettez-moi de vous rappeler que les chercheurs ne sont pas gênés par le principe d’interdiction.
Depuis 2004, l’Agence de la biomédecine a délivré 173 autorisations relatives à la recherche sur l’embryon sur 192 demandées : vous voyez bien ! De plus, il n’y a eu que 11 recours sur l’ensemble de ces autorisations : ils sont donc ultra-minoritaires !
Par ailleurs, interrogé le 14 janvier 2009 dans le cadre de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, dont j’ai eu l’honneur d’être le secrétaire, le professeur Peschanski lui-même, directeur de recherches à l’INSERM, avait ainsi déclaré : « Vous m’avez demandé si les dispositions de la loi de 2004 nous avaient gênés. Peut-être vous surprendrai-je en vous disant que non ».
Lors de la table ronde sur les cellules souches organisée par la commission des affaires sociales du Sénat le mercredi 23 mars 2011, le professeur Peschanski a encore confirmé : « Il est vrai que nous avons pu travailler : l’INSERM a obtenu nombre d’autorisations. »
C’est la démonstration que les chercheurs ne sont pas gênés. Philippe Menasché, qui a été cité par Jean Leonetti tout à l’heure, professeur de médecine, lui aussi directeur de recherche à l’INSERM sur les thérapies cellulaires en pathologie cardio-vasculaire, a confirmé lors de son audition devant la commission spéciale en date du 1er décembre 2010 : « La loi de bioéthique de 2004 ne nous a pas empêchés de travailler. Elle ne nous a pas pénalisés. »
Quant à l’insécurité juridique que vous évoquez dans votre rapport, madame le rapporteur, qui guetterait les chercheurs à cause de recours contre les protocoles de recherche, elle me laisse assez dubitatif. Je l’évoquais tout à l’heure : onze recours seulement contre certains décisions d’autorisation. Ce n’est pas l’argument de l’argent que pourraient coûter ces recours qui va me convaincre. Mme Prada-Bordenave a évoqué un coût de vingt-cinq mille euros : je crois que l’embryon vaut bien vingt-cinq mille euros, en tout cas il me semble.
Au contraire, tout cela me semble inciter à respecter une loi d’équilibre qui n’entrave en rien la recherche tout en préservant la dignité de l’embryon.
La loi ne saurait être modifiée par convenance, au gré de la volonté des chercheurs. Il ne s’agit pas ici de modifier le calendrier des parlementaires au gré du vent, comme vous l’avez fait en conférence des présidents hier matin, non. La loi ne saurait varier au gré de la volonté des chercheurs ou des laboratoires pharmaceutiques, non. Ou bien pour éviter d’être attaqué en justice. Le droit doit demeurer au service de la justice, il ne peut être instrumentalisé en fonction d’intérêts particuliers ou d’une idéologie – et c’est ce dont j’ai le sentiment ce soir. Le législateur ne peut se laisser instrumentaliser pour des intérêts particuliers, d’autant plus lorsqu’ils sont contraires à notre droit.
À côté de ces enjeux juridiques particulièrement forts, il y a bien sûr des enjeux éthiques qui ne vous ont pas échappé. Il me semble que la commission des affaires sociales n’a pas suffisamment étudié les enjeux éthiques du passage à un régime d’autorisation de la recherche sur l’embryon.
Autoriser la recherche sur l’embryon avec un tel encadrement libéral porte gravement atteinte à l’éthique. L’encadrement strict dont vous parlez relègue en réalité l’embryon humain au même rang, voire à un rang inférieur à celui de l’embryon animal ! Vous vous félicitez que la condition de finalité médicale permette tout type de recherche, fondamentale, diagnostique ou préventive, et préserve l’embryon humain du seul usage cosmétologique. C’est encore heureux ! Les animaux aussi, depuis le 11 mars 2013, sont préservés des expérimentations à visée cosmétologiques. C’est une dépêche de l’AFP qui nous l’avait appris quelques jours avant notre fameuse soirée du 28 mars.
Les embryons animaux et humains seront, si ce texte passe, traités de la même façon à ceci près : c’est que les embryons d’animaux coûteront toujours plus cher que les embryons humains dits « surnuméraires » qui sont donnés par les parents. Ce n’est pas de la provocation, c’est la réalité.
En fin de compte, si l’autorisation de la recherche sur l’embryon est autant souhaitée, c’est bien parce que l’embryon humain est gratuit et qu’on en trouve en nombre dans les centres médicaux d’assistance à la procréation. Est-ce une raison pour les transformer en outils de laboratoire et de les substituer à d’autres « matériaux » ?
Madame le rapporteur, vous citez dans votre rapport Jean-Claude Ameisen : nous avons eu la chance, le plaisir, l’honneur, l’avantage, dans la nuit du 28 mars, de l’entendre citer à plusieurs reprises, à travers plusieurs lectures de la même lettre. Il n’empêche que Jean-Claude Ameisen souligne « qu’on ne protège pas l’embryon humain de la destruction en interdisant la recherche ». La question éthique première est donc celle de la destruction de l’embryon humain. Mais la question éthique de la destruction de l’embryon humain est différente de celle de l’utilisation qui serait faite de l’embryon humain, si la recherche était autorisée. C’est bien de l’utilisation de l’embryon que je souhaite parler.
L’embryon humain va devenir ce réactif de laboratoire, en quelque sorte, sur lequel on va tester des centaines, pourquoi pas des milliers de molécules, modéliser des pathologies… Des tests à grande échelle, des centaines, des milliers de tests sur l’embryon humain seront pratiqués. Voilà la réalité de la recherche pharmaceutique que ce texte rend possible.
L’embryon, parce qu’il fait partie de l’espèce humaine, mérite mieux. selon la convention d’Oviedo, l’embryon mérite le respect dans sa dignité d’être humain, ce qui est ici totalement bafoué.
M. Jean Leonetti. Très bien !
M. Philippe Gosselin. Le professeur Bertrand Mathieu souligne à juste titre que « la destruction de l’embryon porte atteinte à la protection de sa vie, elle ne porte pas nécessairement et directement atteinte à sa dignité. » Aussi le problème de l’autorisation de la recherche sur l’embryon humain n’est pas tant sa destruction que l’utilisation délibérée comme outil de laboratoire d’un membre de l’espèce humaine, qui aboutira inévitablement à sa destruction. Il s’agit donc bien là de l’instrumentalisation de l’espèce humaine.
Nous ne pouvons de manière responsable libéraliser ainsi la recherche, d’autant que les travaux alternatifs du professeur Yamanaka – nous l’avons cité abondamment dans les débats de 2009 et de 2010, et, excusez du peu, il est devenu entre-temps prix Nobel de médecine en 2012 – nous montrent qu’il est possible de faire autrement, notamment avec les cellules IPS. Non, il n’y a pas nécessité de s’acharner contre l’embryon. On enregistre des progrès cliniques dus à d’autres cellules souches d’origine non embryonnaire : je pense aux cellules souches adultes, au sang de cordon et sans doute dans un avenir proche, plus largement, aux IPS.
Ensuite, pour conclure sur ce point de l’éthique, je voudrais aborder des questions qui n’ont pas été suffisamment étudiées par la commission des affaires sociales, une fois encore. Il n’est pas éthique de cacher aux parents la nature de la recherche qui sera effectuée sur l’embryon. Cela sous prétexte que ce type d’information pourrait « influencer fortement leur consentement ». C’est bien la démonstration qu’il y a un problème quelque part !
Alors que la médecine ne cesse de progresser dans la qualité de l’information donnée au patient et que dans tous les domaines on s’assure que le consentement est bien libre et éclairé, afin de respecter la liberté de chacun dans ce qu’elle a de plus précieux, voilà qu’elle lui est discrètement et volontairement retirée ici.
Il s’agit d’une grave atteinte aux droits des membres du couple, seuls décisionnaires du sort de leur embryon.
Il s’agit d’une atteinte aux droits et à l’éthique, à partir du moment où on sait qu’il s’agit d’une non information volontaire, pour être sûr en quelque sorte que l’embryon sera donné à la recherche.
Connaître la nature de la recherche qui sera faite sur leur embryon est fondamental pour que les parents sachent ce qu’il adviendra de celui-ci et quelle utilité cette recherche pourrait avoir.
Donner un embryon pour une recherche qui s’inscrit dans une perspective de soins est une décision radicalement différente de donner un embryon pour la recherche pharmaceutique, par exemple.
La volonté de cacher cette information capitale est totalement contraire au principe de liberté, d’autant que nous sommes dans un domaine grave et personnel.
La décision de laisser ses embryons à la recherche, à un autre couple, ou de les détruire, est difficile à prendre pour un couple qui témoigne d’un attachement à ses embryons. Il convient donc d’accompagner les parents en toute transparence et sans manipulation. Il s’agit là du minimum d’éthique auquel les parents ont droit. De quel droit les priverait-on d’une information à laquelle ils peuvent légitimement prétendre ?
Enfin, pour terminer, à côtés de ces enjeux juridiques, éthiques, il y a des enjeux scientifiques. La commission n’a pas non plus suffisamment abordé les enjeux scientifiques de la recherche sur l’embryon comme il se devait, c’est-à-dire de manière impartiale.
Lorsqu’on regarde les auditions menées, on s’aperçoit qu’en réalité la quasi-totalité des personnes auditionnées promeuvent officiellement la recherche embryonnaire.
M. Patrick Hetzel. Oui !
M. Philippe Gosselin. Le Pr Marc Peschanski, qui a été très honnête d’ailleurs en disant que la loi ne l’avait pas gêné, Pierre Jouannet, Axel Kahn… On ne peut y voir qu’un parti-pris, nous privant de toute véritable réflexion sur le sujet. Dans ces conditions, il me paraît difficile de voter pour un tel texte. Tout a été fait pour éviter le débat, ou pire, pour le discréditer ou discréditer ceux qui ont un point de vue différent. Il est si tentant de mettre d’un côté le camp du progrès et de l’autre celui des obscurantistes – cette fameuse querelle entre les anciens et les modernes !
Dois-je rappeler qu’aujourd’hui les cellules souches adultes et le sang de cordon sont les seules à être utilisées en thérapie celllulaire ? Pour certains types de pathologie, les greffes de cellules souches non embryonnaires soignent déjà des patients.
Dois-je rappeler que ce sont les cellules souches reprogrammées, les fameuses IPS du Pr Yamanaka, qui ouvrent les perspectives les plus prometteuses, plutôt que les cellules souches embryonnaires ?
M. Jean Leonetti. C’est moins rentable !
M. Philippe Gosselin. C’est vrai. La rapidité du lancement du premier essai clinique contre la DMLA – dégénérescence maculaire liée à l’âge – et les investissements massifs qui à l’étranger se portent sur les IPS montrent le potentiel de cette recherche. S’agissant de la modélisation des pathologies et du criblage de molécules, les IPS sont déjà utilisées comme alternative à l’embryon humain.
Et puis j’ai plaisir à citer ici les travaux de la société Colliectis, qui, dans un communiqué de presse de lundi dernier, nous fait part d’une nouvelle très intéressante et qui tombe à pic.
C’est une PME française de 230 salariés, un des leaders mondiaux en ingénierie des génomes, qui annonce une offre « grand public » pour le stockage des cellules souches pluripotentes induites, les fameuses IPS. C’est une société qui travaille en France, à Paris et à Evry, ainsi qu’à l’étranger. Elle a mis ses pas dans ceux du CIRA, le laboratoire du Pr Yamanaka, avec lequel elle collabore.
Si cette offre soulève des questions, qu’il s’agisse de l’accès du plus grand nombre ou de la conservation privée, alors que la position française repose sur la gratuité et l’anonymat – je vous renvoie au débat sur la conservation du sang de cordon par des banques privées –, il n’en reste pas moins que ce communiqué de presse est la plus belle démonstration que notre cadre français, si mauvais nous dit-on, n’empêche nullement nos laboratoires de travailler et même d’annoncer une première mondiale dans ce secteur si prometteur de la médecine régénératrice. (Interruptions sur les bancs du groupe SRC.)Cessons donc de nous faire le chantage à la recherche et à la concurrence internationale. Dois-je aussi rappeler à notre collègue Jean-Louis Touraine que si, au moment de leur découverte en 2006, les cellules IPS pouvaient présenter des altérations épigénétiques, liées peut-être à une reprogrammation plus défectueuse, il est démontré que le maintien de la stabilité génomique durant la reprogrammation avait permis la production d’IPS de qualité bien supérieure.
Du fait du changement des techniques de reprogrammation, ces cellules peuvent aujourd’hui être produites sans anomalies. Elles peuvent donc être utilisées, surtout pour la modélisation et le criblage : il est donc inutile de continuer à utiliser l’embryon quand on peut faire autrement.
Enfin la commission, mais sans doute ignorait-elle que des entreprises françaises travaillaient sur le sujet avec ardeur, n’a pas réfléchi au retard que nous allons infliger à la France, paradoxalement, en ouvrant la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines. Elles n’ont offert aucune perspective concrète depuis plus de vingt ans. En mobilisant des équipes de chercheurs sur les cellules souches embryonnaires humaines, c’est autant de temps, autant d’énergie perdus pour la recherche sur les IPS.
M. Marc Le Fur. On se trompe !
M. Philippe Gosselin. En effet, on se trompe. Nos voisins américains et japonais, eux, ont bien compris que ces cellules reprogrammées étaient l’avenir de la recherche et ils délaissent les cellules souches embryonnaires humaines. Pourquoi donc la France mènerait-elle des combats dépassés ? Votre projet est donc, en plus, à contre-temps.
Pour conclure… (« Ah ! » sur les bancs des groupes SRC et RRDP.) Nous sommes dans les temps, mes chers collègues. Pour conclure, je souhaiterais rappeler que le respect de tout être humain, particulièrement des plus fragiles, est constitutif du pacte républicain et du fondement de notre civilisation. L’honneur de la France est de refuser, une fois de plus, l’alignement sur le moins-disant éthique, ce dumping éthique qui est insoutenable, et d’oser réaffirmer avec force des valeurs comme la dignité de l’être humain.
M. Paul Giacobbi. Rien que ça !
M. Philippe Gosselin. C’est en effet la dignité due à tout être humain qui doit demeurer le guide des décisions normatives. Comme le rapporteur le rappelait lors des débats de 2004, « la dignité humaine ne se négocie pas, ne se fragmente pas, sous aucune pression scientifique, économique ou sociale. »
Il s’agit en effet, aujourd’hui comme hier, de légiférer sur une loi de bioéthique et non sur des principes de compétitivité internationale, étant rappelé tout de même que le chercheur le plus en pointe dans le monde dans ce secteur est un scientifique « nobélisé » qui a renoncé à l’embryon !
Comme vous le voyez, il est patent, indéniable, que la commission des affaires sociales n’a pas abordé le sujet dans son entière complexité. Les enjeux juridiques, éthiques et même scientifiques méritent d’être examinés, étudiés, à la lueur des expertises de tous bords et de toutes spécialités, mais aussi à la lueur d’un débat citoyen dont on nous prive.
Pour terminer en quelques mots,…
Mme Barbara Pompili. Ouf !
M. Philippe Gosselin. …– « Ouf ! », si vous voulez –, si je remets cependant en perspective ce texte, in fine, il me paraît cohérent. Cohérent avec cette vaste offensive (« Ah ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP), la plus large de ces dernières décennies,…
M. Jean-Frédéric Poisson. C’est vrai!
M. Philippe Gosselin. … qui se met en place par touches successives sous ce Gouvernement. Une offensive ultra-libérale, voire libertaire, une œuvre utilitariste de destruction des cadres actuels et des repères de la société. C’est, ce jour, la recherche sur l’embryon ; « hier », c’était le mariage pour tous ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.) Mais oui, mes chers collègues !
Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Gosselin!
M. Philippe Gosselin. Et la révolution du droit de la filiation et de la famille !
M. Olivier Véran. Et l’avortement ?
M. Philippe Gosselin. Demain, parce que vous n’en avez pas fini,...
M. Olivier Véran. Et le préservatif ?
M. Philippe Gosselin. … demain, qui est déjà un aujourd’hui, nous aurons droit au gender puis, peut-être, à l’euthanasie, à l’assistance au suicide…
M. Jérôme Guedj. Nous allons manger les petits enfants !
M. Philippe Gosselin. Bref, tout ce qui faisait le « vivre-ensemble » autour du pacte républicain se trouve attaqué. (Exclamations continues.)
En tant que législateurs, nous ne pouvons pas prendre la responsabilité de voter un texte aussi grave sans avoir pris le temps et la peine de débattre de toutes les conséquences qu’il porte. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande son renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)