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Intervention de Philippe Gosselin lors de la discussion générale sur le projet de loi relatif à la garde à vue
Présidence de M. Marc Le Fur, vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Garde à vue
Discussion d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la garde à vue (n°s 2855, 3040).
Je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé d’appliquer à cette discussion la procédure du temps législatif programmé, sur la base d’un temps attribué aux groupes de trente heures.
Chaque groupe dispose des temps de parole suivants : le groupe UMP, huit heures trente minutes ; le groupe SRC, onze heures vingt minutes ; le groupe GDR, cinq heures cinquante minutes ; le groupe Nouveau Centre, quatre heures vingt minutes.
Les députés non inscrits disposent d’un temps de cinquante minutes.
En conséquence, chacune des interventions des députés, en dehors de celles du rapporteur et du président de la commission saisie au fond, sera décomptée sur le temps du groupe de l’orateur.
Les temps qui figurent sur le « jaune » ne sont en tout état de cause qu’indicatifs.
La parole est à M. Philippe Gosselin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Philippe Gosselin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un sujet important qui nous réunit aujourd’hui : la très attendue réforme de la garde à vue. L’Assemblée nationale est saisie en première lecture d’un projet de loi, déposé le 13 octobre 2010 pour tenir compte de jurisprudences récentes, et adopté par notre commission des lois le 15 décembre dernier.
Mesure policière d’enquête prévue par le code de procédure pénale, la garde à vue constitue une mesure privative de liberté, au cours de laquelle une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction est retenue par les enquêteurs. Je reviendrai sur cette définition qu’il est nécessaire de préciser. Pendant toute sa durée, les enquêteurs peuvent accomplir un certain nombre d’actes d’enquête, et notamment procéder à l’audition de la personne gardée à vue.
La garde à vue connaît aujourd’hui une crise double, liée, d’une part, à une explosion quantitative et, d’autre part, à un encadrement juridique devenu progressivement insuffisant et qu’il convient d’améliorer.
La garde à vue a connu un développement très important au cours des dix dernières années. Alors que le nombre de gardes à vue décidées était de moins de 340 000 en 2001 – s’il est convenu de prendre cette année comme référence, je citerai tout de même 1999 où il s’élevait à 436 000 –, il est indiscutablement passé à près de 800 000 en 2009, dont 175 000 environ motivées uniquement par des infractions au code de la route.
Les raisons de cette augmentation se conjuguent. J’en vois au moins trois principales. La première tient en grande partie à l’augmentation de certaines formes de délinquance quotidienne, mais aussi de criminalité organisée. Sans doute une deuxième explication peut-elle être trouvée dans l’introduction d’une culture du résultat dans le fonctionnement des services de police, ce qui a pu conduire, pendant quelques années, à retenir le nombre de gardes à vue comme indicateur d’activité. Mais une troisième raison majeure de cette hausse importante est juridique : depuis 2000, la jurisprudence constante de la Cour de cassation impose le placement en garde à vue de toute personne devant être entendue dès lors qu’elle a fait l’objet d’une interpellation sous contrainte. Voilà pour les éléments quantitatifs.
Quant aux éléments qualitatifs, certains ont parfois défrayé la chronique, notamment l’inadaptation de certains lieux. Oui, parfois les locaux sont indignes, mais de là à généraliser, il y a un pas que je ne franchirai pas. En tout cas, j’hésiterai à parler, comme d’aucuns, de barbarie, terme qui me semble totalement impropre et, pour tout dire, déplacé.
Deuxième facette de la crise de la garde à vue, son encadrement, qui est devenu insuffisant au regard de l’évolution des exigences constitutionnelles et conventionnelles.
L’encadrement de la garde à vue en France est relativement récent. Ce n’est qu’en 1958 que le législateur consacre la mesure en l’inscrivant dans le code de procédure pénale, tout en l’entourant d’un minimum de garanties. Aujourd’hui, le régime de la garde à vue résulte essentiellement de trois textes législatifs : les lois du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale et du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence, et la loi du 9 mars 2004. Les premières ont institué les droits dont dispose aujourd’hui la personne placée en garde à vue. La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a instauré, en matière de criminalité organisée, un régime de garde à vue dérogatoire, tant sur le plan de la durée maximale que des droits de la personne gardée à vue.
Cet encadrement se révèle aujourd’hui insuffisant au regard de ce que sont devenus, en 2010, les standards constitutionnels et européens. Le régime français de la garde à vue a ainsi été déclaré contraire à la fois à la Constitution, par une décision rendue le 30 juillet 2010 par le Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité, et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, par trois arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation, rendus le 19 octobre 2010. Le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation ont toutefois prévu que leurs décisions ne prendraient effet qu’à compter du 1er juillet 2011. Je n’évoquerai pas ici le détail de ces décisions, nous y reviendrons au cours du débat.
Je n’évoquerai pas davantage le contenu des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Ceux-ci nous imposent un cadre fort que nous devons certes respecter mais qui n’est pas incontournable pour autant. Il me semble ajustable sur certains points. Une question sur la place du droit dans notre société me semble très indirectement posée ici.
D’ici au 1er juillet, il appartient au législateur de faire la bonne réforme de la garde à vue, celle qui prendra acte des différentes contraintes juridiques, mais tiendra compte, aussi, des contraintes pratiques. Si l’effectivité de la réforme n’est pas assurée, celle-ci n’aura pas de sens. Un principe ne vaut que s’il peut être appliqué, et rien ne sert de se draper dans une dignité qui n’apporte rien.
Il est indispensable de concilier les trois objectifs majeurs de toute réforme de procédure pénale. D’abord, nous devons garantir les droits des personnes mises en cause, dans le respect du principe de présomption d’innocence. Ce respect des droits de la défense est sans doute le sens de l’histoire. Ensuite, parce qu’il n’y a pas de démocratie sans la sécurité qu’ils contribuent à assurer, nous devons préserver aux services enquêteurs leurs capacités d’investigation. Depuis quelques années, les taux d’élucidation se sont réellement améliorés, et il ne faudrait pas casser une machine qui fonctionne. Les forces de l’ordre doivent avoir confiance dans le système que nous leur proposons, et, de notre côté, nous devons faire confiance aux forces de l’ordre. Je profite d’ailleurs de l’occasion pour leur dire qu’elles ont toute la confiance de la représentation nationale.
M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Très bien !
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Nous savons que les forces de police et de gendarmerie de ce pays sont des forces républicaines et qu’elles ont à cœur de défendre la République et les lois qui la garantissent.
M. Philippe Goujon. Très bien !
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Notre troisième objectif est le respect des droits des victimes, car c’est à elles que nous devons penser en priorité. Tel est le triptyque auquel nous devons donner un équilibre, nécessairement fragile parce que difficile à trouver.
Le projet de loi initial a été sensiblement modifié par la commission des lois, parfois contre l’avis du rapporteur. Je présenterai les principales modifications de manière détaillée, puis j’évoquerai rapidement les autres précisions et ajouts figurant dans le texte adopté et qui nécessiteraient peut-être encore débat.
La principale évolution adoptée par la commission, à l’initiative conjointe de Philippe Houillon et de moi-même, est la suppression de l’audition libre. Cette difficulté étant évacuée, ce sujet n’en est plus vraiment un aujourd’hui. Ce n’est pas tant l’idée d’un dispositif adaptable qui était en cause que la difficulté juridique qui en découlait. Cette affaire est désormais réglée ; je m’en réjouis et je remercie le Gouvernement, le ministre en particulier, de sa sagesse ainsi que nos collègues Éric Ciotti et Jean-Paul Garraud qui ont retiré leur amendement, facilitant ainsi les choses.
La deuxième évolution importante, adoptée contre l’avis du rapporteur, est le contrôle de l’exécution de la garde à vue par un juge du siège – celui des libertés et de la détention – ou, à défaut, par le président du tribunal de grande instance plutôt que par le procureur. Je crois très important de revenir sur ce vote, qui me semble fondé sur une lecture ambiguë, voire mauvaise, des textes et de la jurisprudence. Il nous faudra revenir sur ce point majeur. Au-delà des aspects juridiques, sans doute plus ou moins discutables, il met en cause des aspects pratiques de la chaîne pénale française, qui a fait ses preuves et qu’il importe de ne pas désorganiser. Les procureurs ont fait la preuve de leur efficacité, leur compétence est aujourd’hui reconnue. Il ne faut pas casser ce système qui fonctionne.
La commission a par ailleurs précisé et complété des dispositions importantes relatives à l’assistance de la personne gardée à vue par un avocat. Un délai de carence de deux heures a été institué, avant l’expiration duquel la première audition du gardé à vue ne pourra pas débuter. C’est une exception qui peut paraître curieuse et qui a fait débat. Ce délai de carence a pour but de laisser à l’avocat le temps de se rendre dans les locaux où se déroule la garde à vue et d’agir de façon à rendre le droit effectif, concret.
Le projet prévoyait aussi la possibilité, dans les gardes à vue de droit commun, d’un report de douze heures, décidé par le procureur de la République, de la faculté pour l’avocat de consulter les procès-verbaux d’audition et d’assister aux auditions. La commission a adopté un amendement du Gouvernement prévoyant la possibilité, pour les infractions punies d’au moins cinq ans d’emprisonnement, d’un deuxième report de la présence de l’avocat, jusqu’à la vingt-quatrième heure. C’est une possibilité de travail supplémentaire, me semble-t-il.
Selon le texte, l’avocat assistant à l’audition d’une personne gardée à vue n’avait que la possibilité de présenter des observations écrites, toute intervention orale étant exclue. La commission a préféré adopter un amendement du rapporteur, qui accorde à l’avocat le droit de poser des questions à la fin de l’audition, de sorte qu’il pourra jouer un rôle effectif et ne pas se contenter de faire de la figuration.
En complément de cette disposition, nous avons proposé l’introduction de responsabilités supplémentaires pour l’avocat. Plus de droits impliquant plus de devoirs, certains éléments de déontologie sont élevés au rang législatif pour leur donner plus de force, même si la déontologie est aujourd’hui globalement respectée. Puisque les choses se passent bien, elles se passeront mieux encore en les disant. Il n’y a là aucun procès d’intention : c’est simplement la volonté d’appliquer un principe de responsabilité attaché aux droits et aux devoirs, et de mieux assurer un équilibre.
Autre modification importante, la définition de la garde à vue a été précisée, en rassemblant à l’article 1er tous les critères qui la justifient : une personne ne peut être placée en garde à vue que si elle est soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement et si la mesure constitue l’unique moyen de parvenir à la réalisation d’un des six objectifs fixés par le projet de loi. Il s’agit notamment d’empêcher la modification des preuves, la concertation avec des complices ou d’éventuelles pressions sur les témoins. Cette définition plus stricte, encadrée, est de nature à faire diminuer très sensiblement le nombre des gardes à vue, ce qui est l’un de nos objectifs principaux.
À l’initiative de Mme Delphine Batho, et contre mon avis et celui du Gouvernement, la commission a adopté un amendement tendant à établir un procès-verbal unique de déroulement de la garde à vue. L’idée est séduisante, c’est vrai, en pratique, mais elle soulève quelques difficultés juridiques.
Mme Delphine Batho. Il n’y a aucune difficulté !
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Nous en reparlerons. Quoi qu’il en soit, nous nous sommes efforcés d’écouter et de prendre en considération les amendements présentant quelque intérêt.
La commission a également retenu, à l’article 3, un amendement de M. Jean-Pierre Decool précisant que la « circonstance insurmontable » justifiant un report de l’appel à un proche et à l’employeur du gardé à vue par l’officier de police judiciaire devait être expressément mentionnée au procès-verbal de déroulement de la garde à vue.
J’ai évoqué tout à l’heure l’indispensable équilibre qui doit exister entre le respect des droits de la défense, le travail essentiel des forces de l’ordre et la victime. Pour respecter cet équilibre, un amendement, adopté à l’initiative du rapporteur, prévoit le droit pour la victime d’une infraction d’être assistée par un avocat si elle est confrontée avec une personne gardée à vue qui est elle-même assistée. C’est un élément important qui permettra de mieux travailler, en tout cas en confiance.
En matière de régimes dérogatoires de garde à vue, l’article 12 excluait l’application des nouvelles dispositions relatives au droit à l’assistance par un avocat. La commission a adopté un amendement du Gouvernement, précisé par le président Jean-Luc Warsmann et moi-même, prévoyant un certain nombre de dispositions pour les infractions relevant de la criminalité organisée, du trafic de stupéfiants et du terrorisme. Nous aurons l’occasion d’y revenir tout au long des débats.
L’article 14 bis est issu d’un amendement du Gouvernement adopté par la commission, modifiant le régime de la retenue douanière pour tirer les conséquences légitimes de la décision de QPC du Conseil constitutionnel du 22 septembre 2010.
Nous aurons également l’occasion de revenir sur les dispositions qui tirent les conséquences du récent arrêt Moulin contre France.
En conclusion, je crois sincèrement que nous devons nous engager dans la réforme de la garde à vue avec enthousiasme, sans craintes infondées ou excessives sur l’entrée de l’avocat en garde à vue, mais aussi avec responsabilité, sans surenchère ni dans un sens ni dans l’autre, avec la préoccupation essentielle de préserver l’équilibre de notre procédure pénale.
Certes, cela nécessitera de nouveaux moyens et peut-être de nouvelles façons de procéder pour la police et les avocats. Tentons de dégager l’enquêteur de certaines tâches matérielles. L’informatisation en est un moyen, tout comme le développement de techniques nouvelles de communication qui devraient nous conduire à dématérialiser à terme la procédure pénale. Notons encore le recours à la visioconférence, à l’enregistrement qui devrait permettre de gagner du temps – disposition que j’avais proposée mais qui a été rejetée au titre de l’article 40 – ou l’équipement des gendarmeries et commissariats de bornes pour empreintes anthropomorphiques.
Toutes ces pistes, qui concernent peut-être moins la recherche de l’aveu que le développement de la police scientifique et la recherche de preuves constituent plus une évolution qu’une révolution, et n’entravent en rien ce travail important des forces de l’ordre.
Par ailleurs, il faudra s’interroger sur la réorganisation des systèmes de permanence des membres du barreau. En effet, le nombre de gardes à vue par avocat révèle de forces disparités – trois à Paris, 194 en Guyane par exemple. La moyenne est de treize gardes à vue, mais elle est dépassée de 50 % dans vingt et un départements, et même de 100 % dans douze départements, où un avocat doit chaque année assister à trente-six gardes à vue.
N’ayons pas peur de la réforme. Si nous sommes arrimés à cet équilibre entre le respect des droits de la défense, le travail nécessaire des forces de police et l’intérêt de la victime, alors nous pourrons chercher ensemble la voie de la réussite dans une discussion constructive.
M. Michel Hunault. N’anticipons pas !
M. Philippe Gosselin, rapporteur. En réduisant le recours à la garde à vue tout en permettant que la sécurité soit assurée dans des conditions convenables, nous aurons fait œuvre utile pour les libertés et réalisé un progrès important. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Début du débat public sur le projet de loi portant réforme de la garde à vue
L'examen en séance publique du projet de loi portant réforme de la garde à vue débute ce soir à l'Assemblée nationale. Rapporteur du texte, Philippe Gosselin interviendra dans la discussion générale ainsi que lors des débats qui ne manqueront pas d'avoir lieu sur chacun des articles.L'enjeu est de taille : réussir à améliorer le respect des droits de la défense, qui sont fondamentaux dans une démocratie, sans entraver le travail nécessaire des enquêteurs.
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- Ouest-France : http://www.ouest-france.fr/actu/actuDet_-La-garde-a-vue-entre-les-mains-des-deputes_3635-1659104_actu.Htm?xtor=RSS-4&utm_source=RSS_MVI_ouest-france&utm_medium=RSS&utm_campaign=RSS
- Le Point : http://www.lepoint.fr/societe/l-assemblee-nationale-debat-de-la-reforme-de-la-garde-a-vue-18-01-2011-130084_23.php
- Le Figaro : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2011/01/17/01016-20110117ARTFIG00737-garde-a-vue-le-debat-se-poursuit-a-l-assemblee.php
- La Croix :http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2452309&rubId=4076